Souvenirs, souvenirs

Attends, je viens, j’ai un mail important !

C’est toujours au moment du repas que tu lis tes mails !

On me dit que l’oncle Marcel est décédé !

Ah ! Bon ! Alors c’est une autre histoire, mais maintenant tu peux venir manger et on parlera de lui si tu veux.

Il était né entre les deux guerres, ce qui faisait dire à son beau-frère : « Trop jeune pour la première et trop vieux pour la seconde ! » Il avait tout de même des souvenirs de guerre qui avaient failli le rendre heureux totalement :

A l’époque il vivait à Meudon avec ses parents et sa sœur bien-aimée et son plaisir était de regarder les avions passer dans le ciel. Il disait à son père qui travaillait à l’époque plus de 50 heures par semaine, qu’il voulait faire l’aviateur quand il serait grand… et l’autre souriait gentiment.

Le destin a voulu qu’il soit mécanicien d’abord dans l’aviation où il avait su se faufiler, puis dans plusieurs garages où il avait apprécié de faire tourner un grand nombre de voitures des Panard, Peugeot, Citroën, Rosengart, Bugatti, Hispano Suiza, Delage, Delahaye, Hotckiss, Samson, Talbot, Amilcar jusqu’aux DS à la veille d’une retraite bien méritée ! Comme tous les mécanos, il râlait tout le temps après quelque chose, les pièces qui n’arrivaient pas assez vite, les pièces qui ne correspondaient pas au modèle de la voiture, les clients qui croyaient qu’on ferait de leur épave une voiture neuve, les clients maniaques qui lustraient même le moteur, les clients cracra dont les sièges arrières destinés aux enfants étaient jonchés de pelures de cacahuètes, les clients à chienchien qui pue et ceux qui ne disaient rien, mais qui n’en pensaient pas moins, n’est-ce pas madame ?

Depuis, il cultivait un tout petit jardin, réussissait quelques tomates et trois salades qui lui suffisaient bien depuis la mort de sa chère et tendre épouse. Certes les semences n’étaient plus ce qu’elles étaient, les tomates n’avaient pas de goût et les salades ne grossissaient pas à cause du changement climatique. Bientôt, il n’y aurait plus que des cactus dans notre beau pays…

Une année, malgré tout, alors que nous étudiions la germination, en accompagnant son petit Théo à l’école, il avait apporté des pommes de pin maritime germées dans un seau de belle terre brune en me disant : « Vous verrez, ça pousse tout seul ! »

Je ne sais pas ce que sont devenus les petits pins que nous avions mis en pots pour la fête des mères, mais le mien dépasse le toit de ma maison et fait à son tour quelques pommes de pin chaque année.

Tu ne m’écoutes pas, tu veux une pomme ?

Euh ! Oui, si tu veux !

Comment ça si je veux, c’est moi qui la mangerai ? Tu penseras à amener la voiture chez ton râleur de garagiste, c’est l’oncle Marcel qui me fait penser à lui !

Pasfrevin (15/05/2012)

Texte écrit pour La Petite Fabrique d’Ecriture, jeu du mois de mai 2012